Vous me demandez souvent, mon cher Fabius1, pourquoi, tant d'orateurs du premier ordre, ayant illustré de leur génie et de
leur gloire les siècles précédents, notre âge, stérile et déshérité de cette brillante éloquence, a presque oublié jusqu'au
nom d'orateur. Car nous ne donnons ce titre qu'aux anciens ; et nous appelons défenseurs, avocats, patrons, tout plutôt
qu'orateurs, ceux qui de nos jours savent manier la parole. Répondre à votre demande, et prendre sur moi le fardeau d'une
question qui met en péril la réputation de nos esprits, si notre infériorité vient d'impuissance, de nos jugements, si elle
est volontaire, c'est assurément ce que j'oserais à peine, si je n'avais à exposer que mes propres idées. Mais je puis recourir
à un entretien dans lequel j'ai entendu, fort jeune encore, les hommes les plus éloquents de notre siècle traiter à fond cet
important sujet. Ce n'est donc pas de talent, mais de mémoire que j'aurai besoin pour retrouver les pensées ingénieuses et les
expressions fortes dont ils appuyaient des explications ou diverses ou les mêmes, mais toujours plausibles, en peignant chacun
dans son langage, son âme et son caractère, et pour les reproduire aujourd'hui avec leurs proportions et leurs développements,
sans rien changer à l'ordre de la discussion. Car l'opinion contraire ne manqua pas d'avoir aussi un défenseur qui, prenant
plaisir à maltraiter et à railler le vieux temps, préféra hautement aux génies antiques la moderne éloquence